Réformer la formation des enseignants en Belgique francophone...
Alors que le Parlement de la Communauté française de Belgique reprend cette première semaine de janvier, en Commission de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et des Médias, l'examen du Projet de décret définissant la formation initiale des enseignants, cet article présente un texte que j'ai écrit avec Antoine Derobertmasure et Marie Bocquillon en novembre 2017.
Ce texte a été publié en mai 2018 dans un ouvrage coordonné par Dominique Broussal, Karine Bonnaud, Jean-François Marcel et Philippe Sahuc et intitulé "Recherche(s) et changement(s): dialogues et relations" aux Editions Cépaduès. Il interroge la manière dont les réformes se font en Belgique francophone à travers le cas particulier de la réforme de la formation des enseignants, à l'issue d'un très long processus. Il port le titre, très long, lui aussi, "Accompagner ou initier une réforme ? Quelle place pour les chercheurs et les spécialistes de la formation initiale des enseignants dans la redéfinition de celle-ci dans le contexte belge francophone ?"
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Accompagner ou initier une réforme ?
Quelle place pour les chercheurs et les spécialistes de la formation initiale des enseignants dans la redéfinition de celle-ci dans le contexte belge francophone ?
Marc Demeuse, Antoine Derobertmasure et Marie Bocquillon
1. Une formation initiale des enseignants très éclatée[1]
La formation initiale des enseignants, en
Belgique francophone, offre encore fin 2017, un paysage très éclaté,
malgré des tentatives de réformes menées depuis plus de 25 ans et le rapport de
la Commission de Landsheere (1990).
À l’heure actuelle, quatre opérateurs de
formation - les universités, les hautes écoles, les écoles supérieures des
arts et les écoles de promotion sociale -, se partagent la formation des
futurs enseignants. Pour faire simple, les hautes écoles forment en trois
années après la fin de l’enseignement secondaire supérieur les enseignants de
la maternelle au secondaire inférieur (disons, jusqu’à la fin du collège, si on
adopte une appellation française). Les universités forment les enseignants du
secondaire supérieur (disons, du lycée, en France) soit durant les deux années
de master (dans le cadre des masters à finalité didactique), soit à l’issue de
celles-ci (dans le cadre d’une formation appelée « agrégation de l’enseignement
secondaire supérieur ») et les écoles supérieures des arts fonctionnent de
manière très semblable pour les enseignants des disciplines artistiques. Les
écoles de promotion sociale ont historiquement pour mission de former les
enseignants des cours techniques et de pratique professionnelle de
l’enseignement secondaire, même si progressivement, elles ont aussi formé de
plus en plus d’enseignants des cours généraux, porteurs d’un diplôme de
l’enseignement supérieur pour lesquels il n’existait pas de formation
pédagogique spécifique en université ou en haute école. La formation des
formateurs d’enseignants est, quant à elle, réservée aux universités et, dans
une moindre mesure, à la promotion sociale.
2. Une réforme qui s’inscrit dans la durée
Dans ce paysage complexe, une partie des
universitaires en charge de la formation initiale des enseignants a, à
plusieurs reprises, souligné la nécessité de réformer cette formation
professionnalisante. L’une des initiatives les plus connues est sans doute celle
qui a été portée par la commission scientifique présidée par le professeur
Gilbert de Landsheere[2], à la
demande du ministre Ylieff en 1989[3].
Cette commission avait pour objectifs de définir les principes généraux et de
tracer les cadres conceptuels d’une réforme générale de la formation des
enseignants en Belgique francophone peu de temps après la réforme
constitutionnelle qui a donné à la Communauté française son autonomie en
matière d’enseignement. Comme la Commission le précise elle-même (p. 5) :
« la
mission confiée à la Commission était très large puisqu’elle portait sur
l’ensemble de la profession enseignante. Il est très tôt apparu que, sans cette
ampleur de l’éventail, la Commission aurait été immédiatement arrêtée dans son
travail, car l’un des premiers principes généraux sur lesquels elle a fondé sa
réflexion est la nécessaire unification fondamentale de la fonction, de l’école
maternelle jusqu’à la fin de l’enseignement secondaire. »
Cette réforme, souvent évoquée, reste
pourtant lettre morte, malgré une série de propositions encore très actuelles,
comme par exemple l’intérêt porté à la nécessaire formation des maîtres de
stage qui accueillent les futurs enseignants en formation dans leur classe ou
l’intégration de la formation pédagogique et professionnelle au sein du
deuxième cycle d’études universitaires, comme le permettra finalement le décret
de 2004 qui reconfigure l’ensemble des études supérieures[4]. L’un
des obstacles majeurs qui la bloqueront pour longtemps dans les cartons de
l’Histoire est sans doute sa vision exclusivement universitaire - malgré la
composition mixte de la Commission - de ses perspectives. Il s’agit en effet
dans ce rapport, dès ses premières pages, d’universitariser la formation des
maîtres (Lessard, 2017, Lessard et D’Arrisso, 2010), quel que soit le niveau
auquel ceux-ci se destinent à enseigner[5], même
si la Commission reconnaît que la formation déjà menée à l’université pour les
enseignants du secondaire supérieur n’est pas exempte de critiques[6].
Entre temps, d’autres réformes de moindre
ampleur, ambitionnant une certaine convergence des différentes formations, sans
toucher véritablement aux structures, verront le jour, dont celle de 2000-2001
sur les titres pédagogiques des différents enseignants. Il s’agit de réaffirmer
l’unicité des compétences professionnelles des différents types d’enseignants,
formés dans des structures différentes, sans pour autant véritablement unifier
la profession (Beckers, 2007). Deux textes normatifs précisent les compétences,
identiques, à l’issue de la formation initiale des enseignants, sans parvenir à
proposer une structure unique, la formation des enseignants du niveau maternel
jusqu’au niveau secondaire inférieur restant distincte de la formation des
enseignants du secondaire supérieur, comme le présente brièvement
l’introduction. Les salaires de tous les enseignants formés en trois ans sont
alignés sur un seul barème, de la maternelle au secondaire inférieur inclus.
Les enseignants du secondaire supérieur, porteur d’un master, gardent le bénéfice
d’un salaire plus élevé. À partir de 2009, les enseignants, initialement
détenteur d’un bachelier obtenu en 3 années, qui obtiennent un master en
sciences de l’éducation bénéficient alors du même traitement que leurs
collègues du secondaire supérieur. Il s’agit, à ce niveau, d’une possibilité et
non d’une obligation de compléter sa formation. Cette possibilité, bien
qu’ayant augmenté de manière très importante les inscriptions en sciences de
l’éducation, reste encore marginale par rapport au nombre d’enseignants en
fonction.
3. Une volonté de réforme qui provient des opérateurs eux-mêmes
De manière beaucoup plus récente - ce
sera l’objet de notre contribution -, un groupe de travail baptisé
« groupe de travail des quatre opérateurs » ou GT4O, s’est mis en
place sur une base volontariste, au départ de l’initiative de plusieurs
responsables universitaires de la formation initiale des enseignants. Cette
initiative, qui a vu le jour, notamment, à la suite de la publication,
début 2012, des résultats d’une évaluation de la formation initiale à la
demande du Ministre en charge de l’enseignement supérieur (Degraef, Mertens,
Rodriguez, Franssen & Van Campenhoudt, 2012)[7],
prend place à un moment où de nombreux travaux remettent en cause
l’organisation actuelle de cette formation et déborde le cadre des institutions
universitaires pour impliquer l’ensemble des opérateurs au sein d’un groupe de
travail. Le statut même de ce groupe a évolué d’un groupe interne de réflexion,
propre aux universités, vers celui d’un groupe institué et chargé de fournir au
ministre un projet de réforme.
Nous tenterons ici de mettre en lumière le
travail de ce groupe lors de l’élaboration de la réforme en cours de la
formation initiale des enseignants. Il s’agit de mettre en évidence à la fois
l’évolution du statut d’un groupe de spécialistes de la formation initiale des
enseignants, impliqués dans leurs propres structures de formations, s’appuyant
sur leurs connaissances scientifiques et expérientielles, et la manière dont
ces derniers ont eu à gérer les contraintes institutionnelles de manière à
élaborer le texte qu’ils ont finalement déposé en mai 2016 auprès du ministre
en charge de l’enseignement supérieur. On tentera de montrer comment des
traditions et des références scientifiques et philosophiques parfois très
éloignées ont pu se rapprocher, jusqu’à un certain point. La contribution
interrogera également les contraintes qui ont pesé sur les travaux du groupe,
ainsi que la manière selon laquelle une certaine expertise commune a pu se construire.
Elle identifiera également les obstacles et la manière selon laquelle un tel
travail pourra être reçu par les différents acteurs, y compris les mandants des
différents membres du groupe de travail. L’histoire de cette réforme étant
encore à écrire et alors que les textes normatifs, de la responsabilité du
Ministre et du Parlement n’ont pas encore été complètement divulgués, notre
contribution analyse la manière dont les acteurs ont pu se saisir ou non des
espaces plus ou moins larges de liberté qu’ils imaginaient pour co-construire
les bases d’une réforme.
L’un des auteurs ayant présidé ce groupe de
travail pendant plusieurs années, ce sera pour lui l’occasion de prendre du
recul, de documenter la manière dont il a pu accompagner le travail d’un groupe
– un peu moins d’une trentaine de collègues, issus d’horizons parfois très
différents - impliqué dans la mise en forme d’une réforme ambitieuse d’un large
secteur de la formation dans l’enseignement supérieur. Ce travail sera réalisé,
notamment, à travers l’analyse des documents produits par le groupe de travail,
les prises de positions des acteurs impliqués ou non dans le groupe et les
textes produits avant, durant et à l’issue des travaux du groupe à propos de
son travail. On tentera de mettre en évidence la manière dont une expertise
partagée peut émerger, malgré les fortes tensions et les intérêts parfois
contradictoires qui animent les différents opérateurs de formations, mais aussi
les employeurs, les syndicats, les autorités publiques… dans un système
fortement structuré en piliers, regroupant chacun un « ensemble
d’organisations [écoles, syndicats, partis politiques…] qui ont une idéologie
commune et qui veillent à son influence dans l’organisation de la
société »[8].
On tentera aussi de mettre en évidence comment, dans le contexte spécifique de
la Belgique francophone, une réforme peut en quelque sorte résulter d’une
initiative des opérateurs de formation et non d’une décision politique
centralisée, même si le rôle du politique est loin d’être marginal dans
l’ensemble du processus et si ce projet doit encore être confirmé dans son
statut de réelle réforme par l’adoption de textes normatifs et une mise en
œuvre effective, en principe attendue à la rentrée 2019.
La position du chercheur ou de l’expert
n’est jamais aisée lorsque les changements concernent directement son activité
ou son environnement immédiat. C’est bien ce dont il est question ici : la
réforme de la formation initiale des enseignants est appelée à modifier
substantiellement la manière dont les membres du groupe de travail GT4O
seront amenés à l’avenir à développer leur activité professionnelle, comme
enseignants, formateurs, mais aussi comme chercheurs. Comme nous le soulignions
dans une intervention précédente, relative aux contributions de la recherche en
éducation à l’École de demain (Demeuse, 2013, p. 34),
« ce
n’est certainement pas au chercheur en éducation de décider ce que l’Ecole de
demain sera. Cette question concerne la Société au sens large, pas seulement
les professionnels de la politique. Le chercheur n’est pas plus légitime – mais
pas moins – que tout autre citoyen lorsqu’il s’agit de décider vers où doit
aller l’École, par contre il peut certainement aider par ses travaux à éclairer
les débats. Cela implique à la fois que ses travaux présentent toutes les
qualités attendues de recherches scientifiques menées dans le domaine des
sciences humaines et sociales et qu’il accorde toute l’importance nécessaire à
la diffusion de ses résultats, aussi bien au sein de la communauté des
chercheurs que vers la société civile et, en particulier, vers les différents
acteurs de l’éducation. Cela demande naturellement à la fois un travail
pédagogique et une certaine indépendance vis-à-vis des autorités et des groupes
de pression. »
Un autre risque important pour le chercheur,
« c’est celui de devenir une sorte
de conseiller du prince en substituant une vision technicienne à une vision
politique qui ne s’assumerait plus vraiment » (p. 34).
Ce dernier risque est d’autant plus grand
que
« la société dans laquelle le chercheur déploie son
travail est peu démocratique. En principe, l’alternance politique et la
pluralité des partis garantissent aussi la qualité de la recherche en éducation
et, même lorsqu’il s’agit de recherches commanditées, elles ne peuvent pas être
au service ou aux ordres d’un groupe particulier, détenteur du pouvoir. De ce
point de vue, naturellement, la situation des chercheurs en éducation à travers
le monde est assez inégale. » (p. 35)
4. Un système éducatif complexe et morcelé, construit autour de l’idée de liberté d’enseignement rendant toute réforme « d’en haut » difficile
Si la Belgique
francophone présente toutes les garanties d’un système démocratique, comme la
Belgique dans son ensemble, il n’en reste pas moins vrai qu’elle est traversée
par des tensions importantes, notamment entre laïcs et cléricaux. Aujourd’hui
encore, l’enseignement confessionnel, au niveau de l’enseignement secondaire y
est majoritaire[9]. En
matière d’éducation, la Constitution de 1831 garantit la liberté d’enseignement
et la présence des chercheurs dans la gestion du système éducatif constitue une
solution souvent mobilisée pour faire face à une administration historiquement
contenue dans un rôle subsidiaire et de liquidation de subventions publiques.
Comme il convient de le rappeler, durant les premières années du jeune état
belge, il n’y a tout simplement pas de ministère spécifique chargé de
l’instruction publique, l’enseignement est loin d’être obligatoire et gratuit
(il ne le sera vraiment, jusqu’à 14 ans, qu’à partir de 1921, la 1re
Loi relative à cette question datant de 1914). La situation est donc bien
différente de celle de notre voisin français qui se construit, comme État
moderne, en s’appuyant, notamment sur l’école.
C’est certainement en février 2013, lorsque
le Conseil interuniversitaire de la Communauté française (CIUF)[10]
propose une analyse de la note d’orientation à propos d’une réforme de la
formation initiale des enseignants que le chef de cabinet du Ministre en charge
de l’enseignement supérieur (Marcourt, 2013) lui a transmise un mois plus tôt,
que la dynamique s’accélère et que cette instance (le CIUF), regroupant alors
l’ensemble des universités, se propose d’inviter les autres instances du
supérieur à participer à son groupe de travail « formation initiale des
enseignants ». Parallèlement à cette initiative des universités d’étendre
leur groupe de travail aux autres opérateurs (hautes écoles, écoles supérieures
des arts et promotion sociale), le cabinet du ministre en charge de
l’enseignement supérieur met en place un comité permanent de suivi qui dépasse,
comme nous le verrons, les seuls opérateurs de la formation initiale des
enseignants.
Le groupe de travail des quatre opérateurs,
né de l’initiative du CIUF, déposera deux textes (le premier étant intégré dans
le second), le 17 juin 2014 et le 19 mai 2016[11]. Ces
textes seront examinés par le Comité permanent de suivi (mis en place par le
Gouvernement début 2013) qui regroupe, outre des représentants des quatre
opérateurs, des membres des cabinets ministériels, de l’administration de
l’enseignement obligatoire et de l’enseignement supérieur, de l’Agence pour
l’évaluation de la qualité de l’enseignement supérieur, des représentants des
syndicats, des fédérations de pouvoirs organisateurs et des associations
représentatives des étudiants. Ils seront aussi communiqués au Cabinet du
Ministre de l’enseignement supérieur qui préside le comité permanent de suivi
et à l’Académie de Recherche et d’Enseignement supérieur (ARES) qui fédère
l’ensemble des institutions de recherche et d’enseignement du supérieur et les
représentants de tous les corps qui le composent. Après le dépôt du second
texte, le groupe se réunira encore à plusieurs reprises, mais ne produira plus
de textes, en dehors de ses procès-verbaux de réunion. Le comité permanent de
suivi, quant à lui, se réunira encore plusieurs fois, notamment le 16 février
2017 pour échanger à propos de la proposition du cabinet du Ministre en charge
de l’enseignement supérieur. Nous attendons actuellement la version finalisée
de l’avant-projet de décret qui a été examinée en deuxième lecture par le
Gouvernement en octobre 2017. Comme on le voit ici, le processus est très lent,
depuis la mise en place d’un groupe de travail en 2013 au sein du Conseil
interuniversitaire francophone (CIUF) jusqu’au dépôt au Parlement d’un
avant-projet de décret par le Gouvernement qui était attendu avant
l’été 2017.
5. Comment se positionnent les opérateurs dans le cadre de cette réforme ?
Les quatre opérateurs ne constituent pas un
bloc uniforme. Une première division repose sur l’existence même de quatre
types d’opérateurs, comme nous l’avons vu. Les principes et les contraintes qui
pèsent sur chacun dépendent d’une législation spécifique, mais aussi de traditions
scientifiques et épistémologiques différentes. La formation en haute école est
une formation professionnalisante basée sur une alternance entre formation en
école et formation sur le terrain, à travers des stages supervisés. Elle est
décrite comme simultanée : les enseignements disciplinaires en haute école
y sont très fortement liés aux enseignements des disciplines tels qu’ils seront
enseignés en classe par les futurs enseignants, ils associent très intimement
la discipline et sa didactique.
La formation au sein des universités est
plutôt de type consécutif : formation disciplinaire d’abord, didactique et
formation professionnelle ensuite. Jusqu’en 2004, c’est après la formation
disciplinaire de deuxième cycle (master) que la formation pédagogique à travers
l’agrégation de l’enseignement secondaire supérieur est entreprise. À partir de
2004, une nouvelle voie est offerte : la formation pédagogique est
intégrée à une finalité spécifique correspondant à un volume de 30 crédits (sur
les 120 du master). Cette voie ne supprime pas la formule consécutive.
Les écoles supérieures des arts se
positionnent, dans la formation des enseignants, d’une manière qui n’est pas
très éloignée des universités : il s’agit de former des artistes, puis de
leur offrir une formation pédagogique. C’est sans doute cet opérateur qui
éprouve le plus de difficultés par rapport à un modèle de formation simultanée
telle qu’elle est imaginée par le groupe de travail des quatre opérateurs.
La promotion sociale, qui forme principalement
les enseignants des cours techniques et de pratique professionnelle, est en
principe exclusivement axée sur les apprentissages de type pédagogique (avec
une remise à niveau, par exemple, dans le domaine de la communication et de la
langue française pour des personnes qui ne disposent pas d’un diplôme de fin
d’enseignement secondaire supérieur). Les futurs enseignants qu’elle forme
proviennent d’origines variées. Il est dès lors impossible de proposer, comme
dans les universités, des didactiques spécifiques, en dehors de grands domaines
(santé, sciences humaines, technologie…).
La législation qui est propre à chaque
opérateur définit également les profils des formateurs, les exigences en
matière de diplômes et l’organisation de la charge de travail. En dehors de
l’université, dont la stabilisation des formateurs est en principe liée à un
titre de docteur (sans nécessairement de titre pédagogique) et où la charge de
travail se répartit entre enseignement et recherche, les autres niveaux exigent
généralement un titre de master, assorti, en haute école et en promotion
sociale, d’une formation de maximum 120 heures et de 90 heures de pratique
supervisée (Certificat d’aptitude pédagogique approprié à l’enseignement
supérieur). Le niveau de qualification et la définition de la charge de travail
constituent l’un des points les plus délicats lors de la discussion au sein du
GT4O. Une harmonisation des statuts ou la reconnaissance mutuelle de ceux-ci
n’est pas chose aisée pour les différents acteurs. Les volumes très différents
d’étudiants dans les quatre types de formation rendent la situation encore plus
compliquée.
Malgré ces différences importantes, le GT4O
est parvenu à proposer une note de synthèse de 28 pages qui reprend en très
grande partie les accords, mais qui identifie aussi un certain nombre de
difficultés du type de celles qui viennent d’être décrites très rapidement
(Groupe de travail des quatre opérateurs de la formation initiale [GT40],
2016). Ces propositions pour une réforme des formations initiales des
enseignants envisagent la refonte de toutes les formations sur un modèle
harmonisé, même si les opérateurs ne sont pas appelés à fusionner en une seule
structure. Cette refonte implique la co-diplômation de l’ensemble des
formations. Après avoir réalisé un état des besoins du système éducatif, le
GT4O « identifie
notamment les compétences à acquérir pour exercer une fonction enseignante en
Fédération Wallonie-Bruxelles, considérant que le métier d’enseignant est
particulièrement exigeant et qu’il peut être défini de manière cohérente,
malgré les différences liées aux conditions de son exercice face à des publics
variés (âges, disciplines à enseigner, filières et besoins spécifiques et/ou
handicaps de certains élèves) ».
Le GT4O précise :
« C’est dans ce contexte spécifique d’accroissement des
exigences envers les enseignants et d’incapacité du système éducatif à soutenir
la réussite de tous les élèves qu’il faut s’interroger sur la formation
initiale des enseignants. Sans tomber dans une représentation simpliste du
système éducatif, dont la qualité ne dépendrait que des compétences
additionnées de ses enseignants, il faut toutefois convenir que pour faire face
au défi d’un accroissement des compétences de tous les élèves, le système
éducatif a besoin d’enseignants motivés, fiers de leur métier et compétents. Il
requiert des enseignants qu’ils soient simultanément capables d’agir au
quotidien et de prendre du recul face aux défis professionnels qu’ils vont
rencontrer. Agir au quotidien, cela signifie être capable d’assumer des
relations interpersonnelles parfois délicates avec leurs élèves, de concevoir
des dispositifs d’enseignement autour de contenus et d’opérations didactiques
qu’ils maîtrisent, de gérer en situation de classe les aléas d’une démarche d’apprentissage,
de faire respecter des règles de conduite au sein des classes… Prendre du
recul, à l’instar du praticien réflexif, signifie qu’au-delà d’un répertoire de
compétences professionnelles, les enseignants dont l’école a besoin doivent
être capables d’analyser de manière approfondie les situations professionnelles
qu’ils rencontrent, de mobiliser les ressources théoriques des sciences
humaines pour questionner ces situations et de s’appuyer sur les acquis de la
recherche pour imaginer des réponses novatrices face aux difficultés
rencontrées. À l’instar de ce que l’on observe dans plusieurs pays scandinaves
et anglo-saxons, les enseignants professionnels que nous voulons former
devraient également pouvoir participer à des processus de recherche-action et à
la production de connaissances sur l’enseignement.
Il s’agit donc de concevoir un dispositif de formation
professionnelle dans le double sens du terme : en visant d’une part une
formation professionnalisante, et donc spécifiquement orientée vers un métier
et la maîtrise des compétences qu’il requiert ; en formant d’autre part
des professionnels, c’est-à-dire des personnes dotées d’une relative autonomie
dans leur métier, justifiée au regard des savoirs approfondis qu’elles
maîtrisent et de leur capacité, individuelle et collective, à innover et à
chercher les réponses les plus adéquates face aux situations rencontrées.
Après avoir envisagé plusieurs voies, impliquant notamment une
adaptation progressive de la durée des études et du niveau de celles-ci, comme
l’imaginait initialement la [déclaration de politique communautaire du Gouvernement de la
Fédération Wallonie-Bruxelles pour la législature 2014-2019] DPC 2014-2019, notre conviction,
encouragés en cela par l’accueil réservé au rapport transmis en juin 2014, est
qu’il s’agit d’avancer résolument vers une formation de tous les enseignants
correspondant au niveau 7 du Cadre Européen de Certification (CEC) en 300
crédits et 2 cycles spécifiques (respectivement bachelier de transition et
master en enseignement) à travers une co-diplômation impliquant les différents
acteurs de l’enseignement supérieur, compte tenu de leur expertise à partager
dans les champs disciplinaires, didactiques et pédagogiques, de la
communication et des sciences humaines, de la recherche et liés à l’encadrement
des activités d’intégration professionnelle. »
À ce niveau, le groupe de travail n’a
finalement pas été totalement suivi par rapport à l’allongement de la formation
initiale des instituteurs maternels et primaires et des enseignants du
secondaire inférieur (collège) puisque les échanges entre les partenaires du
gouvernement conduisent actuellement à un allongement d’une seule année de
master de manière obligatoire, la formation pouvant être poursuivie une année
de plus (master de spécialisation) pour les enseignants qui le souhaitent. La
valorisation barémique équivalente à celle des enseignants du secondaire
supérieur ne serait pas acquise à l’issue des quatre années obligatoires de
formation, mais après cette seconde année de master de spécialisation.
La proposition du GT4O poursuit en précisant
les compétences à acquérir et les axes de formations. Ces deux éléments ne
semblent pas poser de problèmes importants. Par contre, les volumes consacrés à
chacun des axes de formation (formation disciplinaire, formation à la
communication, formation à et par la pratique, formation didactique et
pédagogique, formation en sciences humaines et sociales, formation à la
recherche en éducation [y compris le mémoire de fin d’études]) ont été beaucoup
plus difficiles à harmoniser entre les différents opérateurs, même si un accord
a finalement pu se dégager à propos de volumes minimaux, en préservant une part
d’autonomie autorisant des ajustements.
L’un des aspects les plus novateurs de cette
proposition concerne certainement le recouvrement entre les filières de
formation : quatre filières de formation sont proposées de manière à
couvrir toute la scolarité de 2,5 ans à 18 ans, considérant qu’il était
impossible de former un seul type d’enseignant polyvalent. Ces quatre filières
de formation se recouvrent partiellement aux charnières du système éducatif.
Ainsi, les enseignants du primaire (filière 1 et 2) et du secondaire
inférieur (filière 2 et 3) seront-ils formés pour agir face à des élèves pour
une part identiques, de manière à éviter les ruptures particulièrement
préjudiciables aux élèves dans le système belge francophone. L’une des
difficultés rencontrées à ce niveau, en dehors de la définition des frontières
et des recouvrements, a résidé dans la définition des matières que chaque
enseignant, en fonction de sa formation, pourra enseigner. S’il existe un
accord par rapport à l’idée que la première filière forme des enseignants
généralistes, particulièrement bien équipés pour favoriser les apprentissages
de base, pour progressivement s’orienter vers une formation fortement
disciplinaire dans la quatrième filière, le découpage des disciplines constitue
une difficulté qui n’a pas été totalement résolue par le GT4O.
Les balises à fixer à propos de la
co-diplômation n’ont pas fait l’objet d’un accord au sein du groupe, certains
plaidant pour des balises très explicites alors que d’autres souhaitent
disposer des marges de liberté les plus larges possible, ne dépassant pas les
contraintes actuelles des textes normatifs.
D’autres développements intéressants ont
également été réalisés, comme dans les parties consacrées à la formation de
futurs enseignants qui n’avaient pas initialement choisi cette voie. La
formation des formateurs d’enseignants a aussi été abordée et a pu faire
l’objet d’avancées intéressantes, mais ce domaine, qui concerne aussi le statut
des formateurs, n’a pas pu être complètement finalisé par le GT4O.
6. Une partie du chemin a été débroussaillée, mais tout n’est pas encore écrit !
Le travail des opérateurs de formation ou,
plus exactement, des formateurs impliqués dans la formation, a permis d’avancer
de manière très significative en direction d’un modèle commun de formation.
Dans le modèle belge de concertation, un tel travail est un préalable. Il prend
du temps et nécessite des mises à plat, des discussions et surtout, la volonté
de se comprendre de la part de tous les acteurs (Derobertmasure & Demeuse,
2017). Même si toutes les oppositions n’ont pas pu être aplanies, la note de
synthèse est considérée comme une base pour préparer les textes normatifs.
Cette tâche incombe à présent au Gouvernement et au Parlement. La légitimité
des acteurs à rechercher des compromis doit nécessairement faire la place à la
légitimité politique de couler des accords dans les textes qui régiront notre
système de formation.
Au moment d’écrire ces lignes (novembre
2017), deux problèmes importants subsistent et relèvent du politique : le
financement de la réforme et la manière dont les opérateurs s’associeront pour
co-diplômer. La liberté d’association revendiquée très fermement par
l’enseignement catholique, y compris au niveau universitaire, risque de
conduire à la mise en place d’une offre concurrente alors même que la réforme
du paysage universitaire en 2013 avait tenté d’en limiter la portée. De ce
point de vue, le système reste, pour certains, encore construit sur les piliers
du XIXe siècle qui structure la Belgique (Wynants & Paret, 1998 ;
Mangez & Liénard, 2014) et semblent difficiles à dépasser. La notion de
territoire qui est inscrite, à travers les pôles d’enseignement supérieur, dans
les textes normatifs et qui correspond très certainement mieux à une prise en
charge des besoins des étudiants, peine à s’imposer chez ceux qui s’accrochent
à une structure verticale opposant enseignement confessionnel et enseignement
non confessionnel, même s’ils s’en défendent.
Le financement constitue l’autre pierre
d’achoppement, entre les opérateurs d’abord car s’il s’agit de réformer la
formation dans la perspective d’une co-diplômation, il faut bien s’entendre sur
la manière de comptabiliser les étudiants et les répartir entre les différentes
enveloppes (fermées) dévolues aux opérateurs. Les universités, par exemple,
dans le modèle proposé, seront amenées à intervenir dans les premiers cycles
opérés actuellement par les hautes écoles et le nombre d’étudiants qui y sont
inscrits est beaucoup plus important que le nombre actuel d’étudiants inscrits
en second cycle des universités. À volume de crédits identique inscrit au
programme de chaque étudiant, l’intervention des universités et des hautes
écoles dans le cadre de la formation traditionnellement dévolue à l’autre
opérateur n’est donc pas équivalente en charge de travail. La création de
nouvelles années (l’ajout d’une année de master à la formation actuelle en 3
années dans les hautes écoles, le doublement du volume de l’agrégation…) va
entraîner des coûts supplémentaires que les institutions ne peuvent ni ne
veulent intégrer à l’enveloppe fermée qui leur est accordée. Il convient donc,
pour les opérateurs, d’obtenir un financement significatif du Gouvernement,
habituellement chiffré, sur une base annuelle, à au moins 30 ou 40 millions
d’euros. Ce refinancement est cependant relativement marginal si on le compare
au refinancement qui devrait résulter de la reconnaissance d’un niveau master à
tous les enseignants. C’est la raison principale de l’opposition entre la
ministre en charge de l’enseignement obligatoire et le ministre en charge de
l’enseignement supérieur. Ici encore, l’enseignement catholique, dont le
salaire des enseignants est aligné sur celui de l’enseignement public et
financé intégralement par le Gouvernement, s’oppose à l’augmentation barémique
et donc à l’alignement de la formation sur un master en 120 crédits. L’argument
majeur qui est avancé à ce niveau consiste à dire que si un alignement
barémique de tous les enseignants sur le niveau de leur collègue du secondaire
supérieur est accordé, il ne restera plus aucune marge de négociation pour
d’autres avantages (Burgraff, 2016), dont le financement des bâtiments
scolaires de l’enseignement privé.
Bibliographie
Beckers, J. (2007). Compétences et identité
professionnelles. L’enseignement et autres métiers de l’interaction
humaine. Bruxelles : De Boeck.
Bocquillon, M., Demeuse, M.,& Derobertmasure, A. (2017). Histoire d’une réforme en cours. La formationinitiale des enseignants en Communauté française de Belgique. Administration et éducation, 154, 137-144.
Bocquillon, M., Demeuse, M.,& Derobertmasure, A. (2017). Histoire d’une réforme en cours. La formationinitiale des enseignants en Communauté française de Belgique. Administration et éducation, 154, 137-144.
Burgraff, E. (2016). Pacte d’excellence :
« tous les coûts ne seront pas absorbables », Le Soir, 24 mai 2016.
Fédération Wallonie-Bruxelles (2016). Les indicateurs de l’enseignement 2015. Bruxelles :
Fédération Wallonie-Bruxelles, Administration générale l’enseignement, Service
général du Pilotage du Système éducatif.
Groupe de travail des quatre opérateurs de la
formation (GT4O) (2016). Propositions
pour une réforme des formations initiales des enseignants en Fédération
Wallonie-Bruxelles (document destiné au comité permanent de suivi du 19 mai
2016). Bruxelles (document non publié).
Marcourt, J.C. (2013). Note d’orientation concernant la formation initiale des enseignants. Bruxelles :
Gouvernement de la Communauté française de Belgique. (http://www.enseignement.be/download.php?do_id=9997).
Wynants, P., & Paret, M. (1998). École et
clivages aux 19e et 20e siècles. In D. Grootaers (Eds.), Histoire de l'enseignement en Belgique (pp. 13-85).
Bruxelles : CRISP.
[1] Une
version abrégée de ce texte a été publiée par Bocquillon, Demeuse et Derobertmasure (2017) avec les références complètes aux textes législatifs.
[2] Comme
le rappelle un texte d’hommage à l’occasion de son décès en 2001, « Gilbert de
Landsheere fut successivement instituteur, régent, licencié en philologie
germanique, puis licencié et docteur en sciences pédagogiques avant de devenir
le titulaire de la chaire de pédagogie expérimentale de l’université de
Liège » (Le Quinzième jour du mois, Mensuel de l’Université de Liège,
n° 101, http://www2.ulg.ac.be/le15jour/Archives/101/fS02.html).
[3] Commission
scientifique d’étude de la formation des enseignants présidée par Gilbert De
Landsheere (1990). Rapport au Ministre de
l’Éducation et de la Recherche scientifique de la Communauté française. Bruxelles :
Communauté française de Belgique.
[4] En
2004, le « décret du 31 mars 2004 définissant l’enseignement supérieur,
favorisant son intégration dans l’espace européen de l’enseignement supérieur
et refinançant les universités », aussi appelé « décret
Bologne » intègre dans la législation belge francophone les principales
lignes d’actions et réformes portées par le processus de Bologne. C’est à cette
occasion qu’une finalité didactique peut être créée dans les masters
disciplinaires. Cette finalité spécifique comprend les 30 crédits de
l’agrégation de l’enseignement secondaire supérieur et permet de satisfaire aux
exigences en matière de titre pédagogique pour devenir enseignant dans le
secondaire supérieur.
[5] « Pour
les motifs exposés par la suite et s’inscrivant ainsi dans le mouvement général
observé dans l’ensemble des pays industrialisés, la Commission estime que les
enseignants de tous les niveaux doivent être des universitaires, une
multiplicité de formules devant permettre à tous, y compris aux maîtres déjà en
fonction, d’atteindre ce niveau ou son équivalent. Cette formation devrait, par
conséquent, être acquise dans les Universités. » (de Landsheere, 1990,
p. 5)
[6] « Toutefois,
les Universités ne sont pas prêtes à assumer cette responsabilité de façon
satisfaisante dans l’immédiat. En effet, si la qualité des cours théoriques qui
y sont faits n’est que très exceptionnellement mise en cause, il n’en va pas de
même pour la formation pédagogique pratique. Dans le cas particulier de
l’agrégation de l’enseignement secondaire supérieur, non seulement la formation
pratique est estimée déficiente, mais la formation théorique, tant en
psychologie qu’en sciences de l’éducation, reste superficielle. D’autres
raisons, rencontrées dans le présent rapport, aggravent encore ces
réticences » (de Landsheere, 1990, p. 5)
[7] Cette
évaluation a été réalisée par une équipe universitaire de sociologues des
Facultés universitaires Saint-Louis à Bruxelles. Elle s’inscrit dans le type de
travaux que les universitaires belges sont amenés à réaliser à la demande d’un
ministre. Nous avons décrit ce type de commande dans un article paru dans
« Les dossiers des sciences de l’éducation » (Aubert, Demeuse, Derobertmasure
& Friant, 2007).
[8] Voir
par exemple http://www.vocabulairepolitique.be/pilier/
(lien consulté le 20 juillet 2016).
[9] Dans
l’enseignement secondaire, pour l’année scolaire 2013-2014, l’enseignement
libre subventionné, très majoritairement catholique, représente 61 % de la
population scolarisée, ce chiffre s’élève à 65 % dans les 2e et
3e degrés de l’enseignement général (Fédération Wallonie-Bruxelles,
2016, pp. 72-73).
[10] Le
Conseil interuniversitaire de la
Communauté française (CIUF) est un organe d’avis qui regroupe toutes les
composantes des universités (recteurs, délégués du personnel académique et
scientifique, du personnel administratif, technique et ouvrier, des syndicats,
des fédérations patronales et des étudiants désignés par les deux associations
représentatives). Cette instance disparaît avec la création de l’Académie de
Recherche et d’Enseignement supérieur (ARES) qui fédère cette fois, dans trois
chambres thématiques et son conseil d’administration, les universités, les
hautes écoles, les écoles supérieures des arts et les établissements supérieurs
de promotion sociale.
[11] Groupe
des quatre opérateurs de la formation initiale (2016). Propositions pour une réforme des formations initiales des enseignants
en Fédération Wallonie-Bruxelles. (Document destiné au comité permanent de
suivi du 19 mai 2016). Document non publié.
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