Réformer la formation des enseignants en Belgique francophone...

Recherche(s)  et changement(s): dialogues et relations (IDC)
Alors que le Parlement de la Communauté française de Belgique reprend cette première semaine de janvier, en Commission de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et des Médias, l'examen du Projet de décret définissant la formation initiale des enseignants, cet article présente un texte que j'ai écrit avec Antoine Derobertmasure et Marie Bocquillon en novembre 2017. 

Ce texte a été publié en mai 2018 dans un ouvrage coordonné par Dominique Broussal, Karine Bonnaud, Jean-François Marcel et Philippe Sahuc et intitulé "Recherche(s) et changement(s): dialogues et relations" aux Editions Cépaduès. Il interroge la manière dont les réformes se font en Belgique francophone à travers le cas particulier de la réforme de la formation des enseignants, à l'issue d'un très long processus. Il port le titre, très long, lui aussi, "Accompagner ou initier une réforme ? Quelle place pour les chercheurs et les spécialistes de la formation initiale des enseignants dans la redéfinition de celle-ci dans le contexte belge francophone ?"

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Accompagner ou initier une réforme ?

Quelle place pour les chercheurs et les spécialistes de la formation initiale des enseignants dans la redéfinition de celle-ci dans le contexte belge francophone ?


Marc Demeuse, Antoine Derobertmasure et Marie Bocquillon

1.           Une formation initiale des enseignants très éclatée[1]

La formation initiale des enseignants, en Belgique francophone, offre encore fin 2017, un paysage très éclaté, malgré des tentatives de réformes menées depuis plus de 25 ans et le rapport de la Commission de Landsheere (1990).
À l’heure actuelle, quatre opérateurs de formation - les universités, les hautes écoles, les écoles supérieures des arts et les écoles de promotion sociale -, se partagent la formation des futurs enseignants. Pour faire simple, les hautes écoles forment en trois années après la fin de l’enseignement secondaire supérieur les enseignants de la maternelle au secondaire inférieur (disons, jusqu’à la fin du collège, si on adopte une appellation française). Les universités forment les enseignants du secondaire supérieur (disons, du lycée, en France) soit durant les deux années de master (dans le cadre des masters à finalité didactique), soit à l’issue de celles-ci (dans le cadre d’une formation appelée « agrégation de l’enseignement secondaire supérieur ») et les écoles supérieures des arts fonctionnent de manière très semblable pour les enseignants des disciplines artistiques. Les écoles de promotion sociale ont historiquement pour mission de former les enseignants des cours techniques et de pratique professionnelle de l’enseignement secondaire, même si progressivement, elles ont aussi formé de plus en plus d’enseignants des cours généraux, porteurs d’un diplôme de l’enseignement supérieur pour lesquels il n’existait pas de formation pédagogique spécifique en université ou en haute école. La formation des formateurs d’enseignants est, quant à elle, réservée aux universités et, dans une moindre mesure, à la promotion sociale.

2.           Une réforme qui s’inscrit dans la durée

Dans ce paysage complexe, une partie des universitaires en charge de la formation initiale des enseignants a, à plusieurs reprises, souligné la nécessité de réformer cette formation professionnalisante. L’une des initiatives les plus connues est sans doute celle qui a été portée par la commission scientifique présidée par le professeur Gilbert de Landsheere[2], à la demande du ministre Ylieff en 1989[3]. Cette commission avait pour objectifs de définir les principes généraux et de tracer les cadres conceptuels d’une réforme générale de la formation des enseignants en Belgique francophone peu de temps après la réforme constitutionnelle qui a donné à la Communauté française son autonomie en matière d’enseignement. Comme la Commission le précise elle-même (p. 5) :
«  la mission confiée à la Commission était très large puisqu’elle portait sur l’ensemble de la profession enseignante. Il est très tôt apparu que, sans cette ampleur de l’éventail, la Commission aurait été immédiatement arrêtée dans son travail, car l’un des premiers principes généraux sur lesquels elle a fondé sa réflexion est la nécessaire unification fondamentale de la fonction, de l’école maternelle jusqu’à la fin de l’enseignement secondaire. »

Cette réforme, souvent évoquée, reste pourtant lettre morte, malgré une série de propositions encore très actuelles, comme par exemple l’intérêt porté à la nécessaire formation des maîtres de stage qui accueillent les futurs enseignants en formation dans leur classe ou l’intégration de la formation pédagogique et professionnelle au sein du deuxième cycle d’études universitaires, comme le permettra finalement le décret de 2004 qui reconfigure l’ensemble des études supérieures[4]. L’un des obstacles majeurs qui la bloqueront pour longtemps dans les cartons de l’Histoire est sans doute sa vision exclusivement universitaire - malgré la composition mixte de la Commission - de ses perspectives. Il s’agit en effet dans ce rapport, dès ses premières pages, d’universitariser la formation des maîtres (Lessard, 2017, Lessard et D’Arrisso, 2010), quel que soit le niveau auquel ceux-ci se destinent à enseigner[5], même si la Commission reconnaît que la formation déjà menée à l’université pour les enseignants du secondaire supérieur n’est pas exempte de critiques[6].

Entre temps, d’autres réformes de moindre ampleur, ambitionnant une certaine convergence des différentes formations, sans toucher véritablement aux structures, verront le jour, dont celle de 2000-2001 sur les titres pédagogiques des différents enseignants. Il s’agit de réaffirmer l’unicité des compétences professionnelles des différents types d’enseignants, formés dans des structures différentes, sans pour autant véritablement unifier la profession (Beckers, 2007). Deux textes normatifs précisent les compétences, identiques, à l’issue de la formation initiale des enseignants, sans parvenir à proposer une structure unique, la formation des enseignants du niveau maternel jusqu’au niveau secondaire inférieur restant distincte de la formation des enseignants du secondaire supérieur, comme le présente brièvement l’introduction. Les salaires de tous les enseignants formés en trois ans sont alignés sur un seul barème, de la maternelle au secondaire inférieur inclus. Les enseignants du secondaire supérieur, porteur d’un master, gardent le bénéfice d’un salaire plus élevé. À partir de 2009, les enseignants, initialement détenteur d’un bachelier obtenu en 3 années, qui obtiennent un master en sciences de l’éducation bénéficient alors du même traitement que leurs collègues du secondaire supérieur. Il s’agit, à ce niveau, d’une possibilité et non d’une obligation de compléter sa formation. Cette possibilité, bien qu’ayant augmenté de manière très importante les inscriptions en sciences de l’éducation, reste encore marginale par rapport au nombre d’enseignants en fonction.

3.          Une volonté de réforme qui provient des opérateurs eux-mêmes

De manière beaucoup plus récente - ce sera l’objet de notre contribution -, un groupe de travail baptisé « groupe de travail des quatre opérateurs » ou GT4O, s’est mis en place sur une base volontariste, au départ de l’initiative de plusieurs responsables universitaires de la formation initiale des enseignants. Cette initiative, qui a vu le jour, notamment, à la suite de la publication, début 2012, des résultats d’une évaluation de la formation initiale à la demande du Ministre en charge de l’enseignement supérieur (Degraef, Mertens, Rodriguez, Franssen & Van Campenhoudt, 2012)[7], prend place à un moment où de nombreux travaux remettent en cause l’organisation actuelle de cette formation et déborde le cadre des institutions universitaires pour impliquer l’ensemble des opérateurs au sein d’un groupe de travail. Le statut même de ce groupe a évolué d’un groupe interne de réflexion, propre aux universités, vers celui d’un groupe institué et chargé de fournir au ministre un projet de réforme.

Nous tenterons ici de mettre en lumière le travail de ce groupe lors de l’élaboration de la réforme en cours de la formation initiale des enseignants. Il s’agit de mettre en évidence à la fois l’évolution du statut d’un groupe de spécialistes de la formation initiale des enseignants, impliqués dans leurs propres structures de formations, s’appuyant sur leurs connaissances scientifiques et expérientielles, et la manière dont ces derniers ont eu à gérer les contraintes institutionnelles de manière à élaborer le texte qu’ils ont finalement déposé en mai 2016 auprès du ministre en charge de l’enseignement supérieur. On tentera de montrer comment des traditions et des références scientifiques et philosophiques parfois très éloignées ont pu se rapprocher, jusqu’à un certain point. La contribution interrogera également les contraintes qui ont pesé sur les travaux du groupe, ainsi que la manière selon laquelle une certaine expertise commune a pu se construire. Elle identifiera également les obstacles et la manière selon laquelle un tel travail pourra être reçu par les différents acteurs, y compris les mandants des différents membres du groupe de travail. L’histoire de cette réforme étant encore à écrire et alors que les textes normatifs, de la responsabilité du Ministre et du Parlement n’ont pas encore été complètement divulgués, notre contribution analyse la manière dont les acteurs ont pu se saisir ou non des espaces plus ou moins larges de liberté qu’ils imaginaient pour co-construire les bases d’une réforme.

L’un des auteurs ayant présidé ce groupe de travail pendant plusieurs années, ce sera pour lui l’occasion de prendre du recul, de documenter la manière dont il a pu accompagner le travail d’un groupe – un peu moins d’une trentaine de collègues, issus d’horizons parfois très différents - impliqué dans la mise en forme d’une réforme ambitieuse d’un large secteur de la formation dans l’enseignement supérieur. Ce travail sera réalisé, notamment, à travers l’analyse des documents produits par le groupe de travail, les prises de positions des acteurs impliqués ou non dans le groupe et les textes produits avant, durant et à l’issue des travaux du groupe à propos de son travail. On tentera de mettre en évidence la manière dont une expertise partagée peut émerger, malgré les fortes tensions et les intérêts parfois contradictoires qui animent les différents opérateurs de formations, mais aussi les employeurs, les syndicats, les autorités publiques… dans un système fortement structuré en piliers, regroupant chacun un « ensemble d’organisations [écoles, syndicats, partis politiques…] qui ont une idéologie commune et qui veillent à son influence dans l’organisation de la société »[8]. On tentera aussi de mettre en évidence comment, dans le contexte spécifique de la Belgique francophone, une réforme peut en quelque sorte résulter d’une initiative des opérateurs de formation et non d’une décision politique centralisée, même si le rôle du politique est loin d’être marginal dans l’ensemble du processus et si ce projet doit encore être confirmé dans son statut de réelle réforme par l’adoption de textes normatifs et une mise en œuvre effective, en principe attendue à la rentrée 2019.

La position du chercheur ou de l’expert n’est jamais aisée lorsque les changements concernent directement son activité ou son environnement immédiat. C’est bien ce dont il est question ici : la réforme de la formation initiale des enseignants est appelée à modifier substantiellement la manière dont les membres du groupe de travail GT4O seront amenés à l’avenir à développer leur activité professionnelle, comme enseignants, formateurs, mais aussi comme chercheurs. Comme nous le soulignions dans une intervention précédente, relative aux contributions de la recherche en éducation à l’École de demain (Demeuse, 2013, p. 34),
« ce n’est certainement pas au chercheur en éducation de décider ce que l’Ecole de demain sera. Cette question concerne la Société au sens large, pas seulement les professionnels de la politique. Le chercheur n’est pas plus légitime – mais pas moins – que tout autre citoyen lorsqu’il s’agit de décider vers où doit aller l’École, par contre il peut certainement aider par ses travaux à éclairer les débats. Cela implique à la fois que ses travaux présentent toutes les qualités attendues de recherches scientifiques menées dans le domaine des sciences humaines et sociales et qu’il accorde toute l’importance nécessaire à la diffusion de ses résultats, aussi bien au sein de la communauté des chercheurs que vers la société civile et, en particulier, vers les différents acteurs de l’éducation. Cela demande naturellement à la fois un travail pédagogique et une certaine indépendance vis-à-vis des autorités et des groupes de pression. »

Un autre risque important pour le chercheur, « c’est celui de devenir une sorte de conseiller du prince en substituant une vision technicienne à une vision politique qui ne s’assumerait plus vraiment » (p. 34).

Ce dernier risque est d’autant plus grand que
« la société dans laquelle le chercheur déploie son travail est peu démocratique. En principe, l’alternance politique et la pluralité des partis garantissent aussi la qualité de la recherche en éducation et, même lorsqu’il s’agit de recherches commanditées, elles ne peuvent pas être au service ou aux ordres d’un groupe particulier, détenteur du pouvoir. De ce point de vue, naturellement, la situation des chercheurs en éducation à travers le monde est assez inégale. » (p. 35)

4.          Un système éducatif complexe et morcelé, construit autour de l’idée de liberté d’enseignement rendant toute réforme « d’en haut » difficile

Si la Belgique francophone présente toutes les garanties d’un système démocratique, comme la Belgique dans son ensemble, il n’en reste pas moins vrai qu’elle est traversée par des tensions importantes, notamment entre laïcs et cléricaux. Aujourd’hui encore, l’enseignement confessionnel, au niveau de l’enseignement secondaire y est majoritaire[9]. En matière d’éducation, la Constitution de 1831 garantit la liberté d’enseignement et la présence des chercheurs dans la gestion du système éducatif constitue une solution souvent mobilisée pour faire face à une administration historiquement contenue dans un rôle subsidiaire et de liquidation de subventions publiques. Comme il convient de le rappeler, durant les premières années du jeune état belge, il n’y a tout simplement pas de ministère spécifique chargé de l’instruction publique, l’enseignement est loin d’être obligatoire et gratuit (il ne le sera vraiment, jusqu’à 14 ans, qu’à partir de 1921, la 1re Loi relative à cette question datant de 1914). La situation est donc bien différente de celle de notre voisin français qui se construit, comme État moderne, en s’appuyant, notamment sur l’école. 

C’est certainement en février 2013, lorsque le Conseil interuniversitaire de la Communauté française (CIUF)[10] propose une analyse de la note d’orientation à propos d’une réforme de la formation initiale des enseignants que le chef de cabinet du Ministre en charge de l’enseignement supérieur (Marcourt, 2013) lui a transmise un mois plus tôt, que la dynamique s’accélère et que cette instance (le CIUF), regroupant alors l’ensemble des universités, se propose d’inviter les autres instances du supérieur à participer à son groupe de travail « formation initiale des enseignants ». Parallèlement à cette initiative des universités d’étendre leur groupe de travail aux autres opérateurs (hautes écoles, écoles supérieures des arts et promotion sociale), le cabinet du ministre en charge de l’enseignement supérieur met en place un comité permanent de suivi qui dépasse, comme nous le verrons, les seuls opérateurs de la formation initiale des enseignants.

Le groupe de travail des quatre opérateurs, né de l’initiative du CIUF, déposera deux textes (le premier étant intégré dans le second), le 17 juin 2014 et le 19 mai 2016[11]. Ces textes seront examinés par le Comité permanent de suivi (mis en place par le Gouvernement début 2013) qui regroupe, outre des représentants des quatre opérateurs, des membres des cabinets ministériels, de l’administration de l’enseignement obligatoire et de l’enseignement supérieur, de l’Agence pour l’évaluation de la qualité de l’enseignement supérieur, des représentants des syndicats, des fédérations de pouvoirs organisateurs et des associations représentatives des étudiants. Ils seront aussi communiqués au Cabinet du Ministre de l’enseignement supérieur qui préside le comité permanent de suivi et à l’Académie de Recherche et d’Enseignement supérieur (ARES) qui fédère l’ensemble des institutions de recherche et d’enseignement du supérieur et les représentants de tous les corps qui le composent. Après le dépôt du second texte, le groupe se réunira encore à plusieurs reprises, mais ne produira plus de textes, en dehors de ses procès-verbaux de réunion. Le comité permanent de suivi, quant à lui, se réunira encore plusieurs fois, notamment le 16 février 2017 pour échanger à propos de la proposition du cabinet du Ministre en charge de l’enseignement supérieur. Nous attendons actuellement la version finalisée de l’avant-projet de décret qui a été examinée en deuxième lecture par le Gouvernement en octobre 2017. Comme on le voit ici, le processus est très lent, depuis la mise en place d’un groupe de travail en 2013 au sein du Conseil interuniversitaire francophone (CIUF) jusqu’au dépôt au Parlement d’un avant-projet de décret par le Gouvernement qui était attendu avant l’été 2017.

5.          Comment se positionnent les opérateurs dans le cadre de cette réforme ?

Les quatre opérateurs ne constituent pas un bloc uniforme. Une première division repose sur l’existence même de quatre types d’opérateurs, comme nous l’avons vu. Les principes et les contraintes qui pèsent sur chacun dépendent d’une législation spécifique, mais aussi de traditions scientifiques et épistémologiques différentes. La formation en haute école est une formation professionnalisante basée sur une alternance entre formation en école et formation sur le terrain, à travers des stages supervisés. Elle est décrite comme simultanée : les enseignements disciplinaires en haute école y sont très fortement liés aux enseignements des disciplines tels qu’ils seront enseignés en classe par les futurs enseignants, ils associent très intimement la discipline et sa didactique. 

La formation au sein des universités est plutôt de type consécutif : formation disciplinaire d’abord, didactique et formation professionnelle ensuite. Jusqu’en 2004, c’est après la formation disciplinaire de deuxième cycle (master) que la formation pédagogique à travers l’agrégation de l’enseignement secondaire supérieur est entreprise. À partir de 2004, une nouvelle voie est offerte : la formation pédagogique est intégrée à une finalité spécifique correspondant à un volume de 30 crédits (sur les 120 du master). Cette voie ne supprime pas la formule consécutive. 

Les écoles supérieures des arts se positionnent, dans la formation des enseignants, d’une manière qui n’est pas très éloignée des universités : il s’agit de former des artistes, puis de leur offrir une formation pédagogique. C’est sans doute cet opérateur qui éprouve le plus de difficultés par rapport à un modèle de formation simultanée telle qu’elle est imaginée par le groupe de travail des quatre opérateurs. 

La promotion sociale, qui forme principalement les enseignants des cours techniques et de pratique professionnelle, est en principe exclusivement axée sur les apprentissages de type pédagogique (avec une remise à niveau, par exemple, dans le domaine de la communication et de la langue française pour des personnes qui ne disposent pas d’un diplôme de fin d’enseignement secondaire supérieur). Les futurs enseignants qu’elle forme proviennent d’origines variées. Il est dès lors impossible de proposer, comme dans les universités, des didactiques spécifiques, en dehors de grands domaines (santé, sciences humaines, technologie…).

La législation qui est propre à chaque opérateur définit également les profils des formateurs, les exigences en matière de diplômes et l’organisation de la charge de travail. En dehors de l’université, dont la stabilisation des formateurs est en principe liée à un titre de docteur (sans nécessairement de titre pédagogique) et où la charge de travail se répartit entre enseignement et recherche, les autres niveaux exigent généralement un titre de master, assorti, en haute école et en promotion sociale, d’une formation de maximum 120 heures et de 90 heures de pratique supervisée (Certificat d’aptitude pédagogique approprié à l’enseignement supérieur). Le niveau de qualification et la définition de la charge de travail constituent l’un des points les plus délicats lors de la discussion au sein du GT4O. Une harmonisation des statuts ou la reconnaissance mutuelle de ceux-ci n’est pas chose aisée pour les différents acteurs. Les volumes très différents d’étudiants dans les quatre types de formation rendent la situation encore plus compliquée.

Malgré ces différences importantes, le GT4O est parvenu à proposer une note de synthèse de 28 pages qui reprend en très grande partie les accords, mais qui identifie aussi un certain nombre de difficultés du type de celles qui viennent d’être décrites très rapidement (Groupe de travail des quatre opérateurs de la formation initiale [GT40], 2016). Ces propositions pour une réforme des formations initiales des enseignants envisagent la refonte de toutes les formations sur un modèle harmonisé, même si les opérateurs ne sont pas appelés à fusionner en une seule structure. Cette refonte implique la co-diplômation de l’ensemble des formations. Après avoir réalisé un état des besoins du système éducatif, le GT4O « identifie notamment les compétences à acquérir pour exercer une fonction enseignante en Fédération Wallonie-Bruxelles, considérant que le métier d’enseignant est particulièrement exigeant et qu’il peut être défini de manière cohérente, malgré les différences liées aux conditions de son exercice face à des publics variés (âges, disciplines à enseigner, filières et besoins spécifiques et/ou handicaps de certains élèves) ».
Le GT4O précise :
« C’est dans ce contexte spécifique d’accroissement des exigences envers les enseignants et d’incapacité du système éducatif à soutenir la réussite de tous les élèves qu’il faut s’interroger sur la formation initiale des enseignants. Sans tomber dans une représentation simpliste du système éducatif, dont la qualité ne dépendrait que des compétences additionnées de ses enseignants, il faut toutefois convenir que pour faire face au défi d’un accroissement des compétences de tous les élèves, le système éducatif a besoin d’enseignants motivés, fiers de leur métier et compétents. Il requiert des enseignants qu’ils soient simultanément capables d’agir au quotidien et de prendre du recul face aux défis professionnels qu’ils vont rencontrer. Agir au quotidien, cela signifie être capable d’assumer des relations interpersonnelles parfois délicates avec leurs élèves, de concevoir des dispositifs d’enseignement autour de contenus et d’opérations didactiques qu’ils maîtrisent, de gérer en situation de classe les aléas d’une démarche d’apprentissage, de faire respecter des règles de conduite au sein des classes… Prendre du recul, à l’instar du praticien réflexif, signifie qu’au-delà d’un répertoire de compétences professionnelles, les enseignants dont l’école a besoin doivent être capables d’analyser de manière approfondie les situations professionnelles qu’ils rencontrent, de mobiliser les ressources théoriques des sciences humaines pour questionner ces situations et de s’appuyer sur les acquis de la recherche pour imaginer des réponses novatrices face aux difficultés rencontrées. À l’instar de ce que l’on observe dans plusieurs pays scandinaves et anglo-saxons, les enseignants professionnels que nous voulons former devraient également pouvoir participer à des processus de recherche-action et à la production de connaissances sur l’enseignement.
Il s’agit donc de concevoir un dispositif de formation professionnelle dans le double sens du terme : en visant d’une part une formation professionnalisante, et donc spécifiquement orientée vers un métier et la maîtrise des compétences qu’il requiert ; en formant d’autre part des professionnels, c’est-à-dire des personnes dotées d’une relative autonomie dans leur métier, justifiée au regard des savoirs approfondis qu’elles maîtrisent et de leur capacité, individuelle et collective, à innover et à chercher les réponses les plus adéquates face aux situations rencontrées.
Après avoir envisagé plusieurs voies, impliquant notamment une adaptation progressive de la durée des études et du niveau de celles-ci, comme l’imaginait initialement la [déclaration de politique communautaire du Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour la législature 2014-2019] DPC 2014-2019, notre conviction, encouragés en cela par l’accueil réservé au rapport transmis en juin 2014, est qu’il s’agit d’avancer résolument vers une formation de tous les enseignants correspondant au niveau 7 du Cadre Européen de Certification (CEC) en 300 crédits et 2 cycles spécifiques (respectivement bachelier de transition et master en enseignement) à travers une co-diplômation impliquant les différents acteurs de l’enseignement supérieur, compte tenu de leur expertise à partager dans les champs disciplinaires, didactiques et pédagogiques, de la communication et des sciences humaines, de la recherche et liés à l’encadrement des activités d’intégration professionnelle. »

À ce niveau, le groupe de travail n’a finalement pas été totalement suivi par rapport à l’allongement de la formation initiale des instituteurs maternels et primaires et des enseignants du secondaire inférieur (collège) puisque les échanges entre les partenaires du gouvernement conduisent actuellement à un allongement d’une seule année de master de manière obligatoire, la formation pouvant être poursuivie une année de plus (master de spécialisation) pour les enseignants qui le souhaitent. La valorisation barémique équivalente à celle des enseignants du secondaire supérieur ne serait pas acquise à l’issue des quatre années obligatoires de formation, mais après cette seconde année de master de spécialisation.

La proposition du GT4O poursuit en précisant les compétences à acquérir et les axes de formations. Ces deux éléments ne semblent pas poser de problèmes importants. Par contre, les volumes consacrés à chacun des axes de formation (formation disciplinaire, formation à la communication, formation à et par la pratique, formation didactique et pédagogique, formation en sciences humaines et sociales, formation à la recherche en éducation [y compris le mémoire de fin d’études]) ont été beaucoup plus difficiles à harmoniser entre les différents opérateurs, même si un accord a finalement pu se dégager à propos de volumes minimaux, en préservant une part d’autonomie autorisant des ajustements. 

L’un des aspects les plus novateurs de cette proposition concerne certainement le recouvrement entre les filières de formation : quatre filières de formation sont proposées de manière à couvrir toute la scolarité de 2,5 ans à 18 ans, considérant qu’il était impossible de former un seul type d’enseignant polyvalent. Ces quatre filières de formation se recouvrent partiellement aux charnières du système éducatif. Ainsi, les enseignants du primaire (filière 1 et 2) et du secondaire inférieur (filière 2 et 3) seront-ils formés pour agir face à des élèves pour une part identiques, de manière à éviter les ruptures particulièrement préjudiciables aux élèves dans le système belge francophone. L’une des difficultés rencontrées à ce niveau, en dehors de la définition des frontières et des recouvrements, a résidé dans la définition des matières que chaque enseignant, en fonction de sa formation, pourra enseigner. S’il existe un accord par rapport à l’idée que la première filière forme des enseignants généralistes, particulièrement bien équipés pour favoriser les apprentissages de base, pour progressivement s’orienter vers une formation fortement disciplinaire dans la quatrième filière, le découpage des disciplines constitue une difficulté qui n’a pas été totalement résolue par le GT4O.

Les balises à fixer à propos de la co-diplômation n’ont pas fait l’objet d’un accord au sein du groupe, certains plaidant pour des balises très explicites alors que d’autres souhaitent disposer des marges de liberté les plus larges possible, ne dépassant pas les contraintes actuelles des textes normatifs.

D’autres développements intéressants ont également été réalisés, comme dans les parties consacrées à la formation de futurs enseignants qui n’avaient pas initialement choisi cette voie. La formation des formateurs d’enseignants a aussi été abordée et a pu faire l’objet d’avancées intéressantes, mais ce domaine, qui concerne aussi le statut des formateurs, n’a pas pu être complètement finalisé par le GT4O.

6.          Une partie du chemin a été débroussaillée, mais tout n’est pas encore écrit !

Le travail des opérateurs de formation ou, plus exactement, des formateurs impliqués dans la formation, a permis d’avancer de manière très significative en direction d’un modèle commun de formation. Dans le modèle belge de concertation, un tel travail est un préalable. Il prend du temps et nécessite des mises à plat, des discussions et surtout, la volonté de se comprendre de la part de tous les acteurs (Derobertmasure & Demeuse, 2017). Même si toutes les oppositions n’ont pas pu être aplanies, la note de synthèse est considérée comme une base pour préparer les textes normatifs. Cette tâche incombe à présent au Gouvernement et au Parlement. La légitimité des acteurs à rechercher des compromis doit nécessairement faire la place à la légitimité politique de couler des accords dans les textes qui régiront notre système de formation.

Au moment d’écrire ces lignes (novembre 2017), deux problèmes importants subsistent et relèvent du politique : le financement de la réforme et la manière dont les opérateurs s’associeront pour co-diplômer. La liberté d’association revendiquée très fermement par l’enseignement catholique, y compris au niveau universitaire, risque de conduire à la mise en place d’une offre concurrente alors même que la réforme du paysage universitaire en 2013 avait tenté d’en limiter la portée. De ce point de vue, le système reste, pour certains, encore construit sur les piliers du XIXe siècle qui structure la Belgique (Wynants & Paret, 1998 ; Mangez & Liénard, 2014) et semblent difficiles à dépasser. La notion de territoire qui est inscrite, à travers les pôles d’enseignement supérieur, dans les textes normatifs et qui correspond très certainement mieux à une prise en charge des besoins des étudiants, peine à s’imposer chez ceux qui s’accrochent à une structure verticale opposant enseignement confessionnel et enseignement non confessionnel, même s’ils s’en défendent.

Le financement constitue l’autre pierre d’achoppement, entre les opérateurs d’abord car s’il s’agit de réformer la formation dans la perspective d’une co-diplômation, il faut bien s’entendre sur la manière de comptabiliser les étudiants et les répartir entre les différentes enveloppes (fermées) dévolues aux opérateurs. Les universités, par exemple, dans le modèle proposé, seront amenées à intervenir dans les premiers cycles opérés actuellement par les hautes écoles et le nombre d’étudiants qui y sont inscrits est beaucoup plus important que le nombre actuel d’étudiants inscrits en second cycle des universités. À volume de crédits identique inscrit au programme de chaque étudiant, l’intervention des universités et des hautes écoles dans le cadre de la formation traditionnellement dévolue à l’autre opérateur n’est donc pas équivalente en charge de travail. La création de nouvelles années (l’ajout d’une année de master à la formation actuelle en 3 années dans les hautes écoles, le doublement du volume de l’agrégation…) va entraîner des coûts supplémentaires que les institutions ne peuvent ni ne veulent intégrer à l’enveloppe fermée qui leur est accordée. Il convient donc, pour les opérateurs, d’obtenir un financement significatif du Gouvernement, habituellement chiffré, sur une base annuelle, à au moins 30 ou 40 millions d’euros. Ce refinancement est cependant relativement marginal si on le compare au refinancement qui devrait résulter de la reconnaissance d’un niveau master à tous les enseignants. C’est la raison principale de l’opposition entre la ministre en charge de l’enseignement obligatoire et le ministre en charge de l’enseignement supérieur. Ici encore, l’enseignement catholique, dont le salaire des enseignants est aligné sur celui de l’enseignement public et financé intégralement par le Gouvernement, s’oppose à l’augmentation barémique et donc à l’alignement de la formation sur un master en 120 crédits. L’argument majeur qui est avancé à ce niveau consiste à dire que si un alignement barémique de tous les enseignants sur le niveau de leur collègue du secondaire supérieur est accordé, il ne restera plus aucune marge de négociation pour d’autres avantages (Burgraff, 2016), dont le financement des bâtiments scolaires de l’enseignement privé.

Bibliographie

Beckers, J. (2007). Compétences et identité professionnelles. L’enseignement et autres métiers de l’interaction humaine. Bruxelles : De Boeck. 

Bocquillon, M., Demeuse, M.,& Derobertmasure, A. (2017). Histoire d’une réforme en cours. La formationinitiale des enseignants en Communauté française de Belgique. Administration et éducation, 154, 137-144.
Burgraff, E. (2016). Pacte d’excellence : « tous les coûts ne seront pas absorbables », Le Soir, 24 mai 2016.
Fédération Wallonie-Bruxelles (2016). Les indicateurs de l’enseignement 2015. Bruxelles : Fédération Wallonie-Bruxelles, Administration générale l’enseignement, Service général du Pilotage du Système éducatif.
Groupe de travail des quatre opérateurs de la formation (GT4O) (2016). Propositions pour une réforme des formations initiales des enseignants en Fédération Wallonie-Bruxelles (document destiné au comité permanent de suivi du 19 mai 2016). Bruxelles (document non publié).
Marcourt, J.C. (2013). Note d’orientation concernant la formation initiale des enseignants. Bruxelles : Gouvernement de la Communauté française de Belgique. (http://www.enseignement.be/download.php?do_id=9997).
Wynants, P., & Paret, M. (1998). École et clivages aux 19e et 20e siècles. In D. Grootaers (Eds.), Histoire de l'enseignement en Belgique (pp. 13-85). Bruxelles : CRISP.




[1] Une version abrégée de ce texte a été publiée par Bocquillon, Demeuse et Derobertmasure (2017) avec les références complètes aux textes législatifs.
[2] Comme le rappelle un texte d’hommage à l’occasion de son décès en 2001, « Gilbert de Landsheere fut successivement instituteur, régent, licencié en philologie germanique, puis licencié et docteur en sciences pédagogiques avant de devenir le titulaire de la chaire de pédagogie expérimentale de l’université de Liège » (Le Quinzième jour du mois, Mensuel de l’Université de Liège, n° 101, http://www2.ulg.ac.be/le15jour/Archives/101/fS02.html).
[3] Commission scientifique d’étude de la formation des enseignants présidée par Gilbert De Landsheere (1990). Rapport au Ministre de l’Éducation et de la Recherche scientifique de la Communauté française. Bruxelles : Communauté française de Belgique.
[4] En 2004, le « décret du 31 mars 2004 définissant l’enseignement supérieur, favorisant son intégration dans l’espace européen de l’enseignement supérieur et refinançant les universités », aussi appelé « décret Bologne » intègre dans la législation belge francophone les principales lignes d’actions et réformes portées par le processus de Bologne. C’est à cette occasion qu’une finalité didactique peut être créée dans les masters disciplinaires. Cette finalité spécifique comprend les 30 crédits de l’agrégation de l’enseignement secondaire supérieur et permet de satisfaire aux exigences en matière de titre pédagogique pour devenir enseignant dans le secondaire supérieur.
[5] « Pour les motifs exposés par la suite et s’inscrivant ainsi dans le mouvement général observé dans l’ensemble des pays industrialisés, la Commission estime que les enseignants de tous les niveaux doivent être des universitaires, une multiplicité de formules devant permettre à tous, y compris aux maîtres déjà en fonction, d’atteindre ce niveau ou son équivalent. Cette formation devrait, par conséquent, être acquise dans les Universités. » (de Landsheere, 1990, p. 5)
[6] « Toutefois, les Universités ne sont pas prêtes à assumer cette responsabilité de façon satisfaisante dans l’immédiat. En effet, si la qualité des cours théoriques qui y sont faits n’est que très exceptionnellement mise en cause, il n’en va pas de même pour la formation pédagogique pratique. Dans le cas particulier de l’agrégation de l’enseignement secondaire supérieur, non seulement la formation pratique est estimée déficiente, mais la formation théorique, tant en psychologie qu’en sciences de l’éducation, reste superficielle. D’autres raisons, rencontrées dans le présent rapport, aggravent encore ces réticences » (de Landsheere, 1990, p. 5)
[7] Cette évaluation a été réalisée par une équipe universitaire de sociologues des Facultés universitaires Saint-Louis à Bruxelles. Elle s’inscrit dans le type de travaux que les universitaires belges sont amenés à réaliser à la demande d’un ministre. Nous avons décrit ce type de commande dans un article paru dans « Les dossiers des sciences de l’éducation » (Aubert, Demeuse, Derobertmasure & Friant, 2007).
[8] Voir par exemple http://www.vocabulairepolitique.be/pilier/ (lien consulté le 20 juillet 2016).
[9] Dans l’enseignement secondaire, pour l’année scolaire 2013-2014, l’enseignement libre subventionné, très majoritairement catholique, représente 61 % de la population scolarisée, ce chiffre s’élève à 65 % dans les 2e et 3e degrés de l’enseignement général (Fédération Wallonie-Bruxelles, 2016, pp. 72-73).
[10] Le Conseil interuniversitaire de la Communauté française (CIUF) est un organe d’avis qui regroupe toutes les composantes des universités (recteurs, délégués du personnel académique et scientifique, du personnel administratif, technique et ouvrier, des syndicats, des fédérations patronales et des étudiants désignés par les deux associations représentatives). Cette instance disparaît avec la création de l’Académie de Recherche et d’Enseignement supérieur (ARES) qui fédère cette fois, dans trois chambres thématiques et son conseil d’administration, les universités, les hautes écoles, les écoles supérieures des arts et les établissements supérieurs de promotion sociale.
[11] Groupe des quatre opérateurs de la formation initiale (2016). Propositions pour une réforme des formations initiales des enseignants en Fédération Wallonie-Bruxelles. (Document destiné au comité permanent de suivi du 19 mai 2016). Document non publié.

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